“ Je me souviens d’avoir rencontré Jean-Marie Barbu il y a près de 25 ans, au “Bain de musique”, un stage qui réunissait de jeunes musiciens chaque été à Flaine, au coeur des Alpes.
Jean-Marie était encore un grand adolescent dont l’apparente décontraction recouvrait une étrange intensité. Celle-ci s’imposait dès qu’il se mettait au piano. On avait alors l’impression qu’il rentrait en lui-même, comme sous l’effet d’une hypnose soudaine, et son jeu rayonnait d’une puissance expressive peu commune, servie par une technique spontanée, déjà impressionnante, mais pas des plus académiques...
A l’issue d’une audition d’élèves, j’étais allé le féliciter pour l’exécution d’une polonaise en La bémol de Chopin, qui, sous ses doigts, méritait pleinement son épithète d’”héroïque”. Mi-fier mi-confus, il m’avait avoué, que faute de savoir lire ses notes, il avait appris d’oreille cette oeuvre pourtant si virtuose et si complexe. Comme il n’en avait jamais éprouvé la nécessité, il s’était toujours refusé d’apprendre le solfège, et son premier professeur, Simone Gaudriot, avait eu la sagesse de guider, sans le contraindre, cet élève hors normes, puis de le recommander à Pierre Petit qui le fit entrer à l’Ecole Normale de Musique, sous condition d’apprendre à lire ses partitions.
La formation d’un talent si particulier n’était pas une tache facile : car outre ses dons manifestes, Jean-Marie faisait preuve, déjà, d’une grande force de conviction qui le rendait circonspect à l’égard de tout ce qui ne répondait pas à son intuition pianistique et musicale. Mais hasard ou prescience, il a toujours eu de la chance avec ses professeurs qui ont su, sans en élaguer la fougue, affiner et enrichir son jeu.
Serge Petitgirard, qui avait été remarqué très tôt par le grand Alfred Cortot, ne s’arrêtait pas à une approche pointilleuse des oeuvres et de la technique pianistique, mais savait communiquer à ses élèves son amour sincère et sa compréhension profonde de la musique : est-ce un hasard si deux de ses fils et certains de ses meilleurs élèves sont devenus compositeurs ?
Se situant également dans la tradition romantique d’Alfred Cortot dont il avait été le dernier assistant, Jean Micault s’attachait à développer chez ses élèves cette écoute intérieure qui permet à l’interprète de dépasser l’approche instrumentale.
Enfin, bien des années plus tard, François-René Duchable, à qui Jean-Marie avait envoyé son disque Chopin, lui a prodigué ses encouragements et les conseils que lui inspiraient sa longue fréquentation de la scène et du répertoire.
Leçons reçues, leçons données - car, tous les pédagogues le savent, le maître apprend aussi au contact de l’élève - ont contribué, au fil des ans, à la maturation du talent de Jean-Marie Barbu.”
Loïc Vance
2007